La rentrée (5 septembre 2011)
La rentrée
Marcel Pagnol est né en Provence, à Aubagne, où son père était instituteur. Enfant, le petit Marcel passait ses vacances à la « Bastide Neuve », vieux mas que ses parents avaient loué dans les collines.
Les vacances touchent à leur fin. Un soir, son père lui dit brutalement
- Donc, c’est demain, à dix heures précises, que nous commençons les révisions.
Le lendemain matin, en partant sous les dernières étoiles, j’annonçai la triste nouvelle à Lili. Il me consola de son mieux et me déclara que d’ailleurs, il allait être requis lui même pour le ramassage des «pommes d’amour» d’hiver, et les premiers labours d’automne.
Je rentrai donc vers les dix heures… Mon père me fit faire une longue dictée qui racontait vainement les malheurs d’un roi imbécile nommé Boabdil.
L’après-midi, après un festival d’analyse logique et une courte récréation, il me fallut régler le débit de trois robinets, qui remplissaient un bassin, puis calculer les temps d’un cycliste qui s’efforçait – je ne sais pourquoi – de rattraper un cavalier dont la monture s’était arrêtée plusieurs fois pour boire. Après quoi, Paul fut convoqué pour écouter la lecture, que je dus faire à haute voix , des malheurs de Vercingétorix…
Ces leçons ne durèrent d’ailleurs que six jours, car il fallut redescendre et définitivement vers la ville, pour compléter d’autres préparatifs.
Le dernier soir, j’allai faire mes adieux à Lili, que je n’avais pas vu de la journée.
Dans le vaste grenier de ses parents, un rayon du soleil couchant qui entrait par la lucarne illuminait une barre de poussière d’or.
Il était assis sur un escabeau devant un gros tas de petites pommes d’amour qui ressemblaient à des prunes rouges.
Chacune avait une queue verte, qu’il insérait entre les deux brins d’une ficelle double, puis il faisait un noeud, avant de placer la suivante.
Il composait ainsi de longues tresses d’un rouge brillant qu’il suspendait aux poutres brunes de la charpente.
Pendant un moment, je le regardai travailler en silence.
Enfin il leva la tête et dit :
- Au fond, tu dois être content de retourner en ville… et cette nouvelle école :où tu vas, comment c’est? Je lui décrivis aussitôt le lycée…
… C’est le lundi 3 octobre au matin, à six heures, que sonna le grand branle-bas. Lavé, frotté, récuré (je faillis me crever le tympan) et largement nourri de tartines beurrées, j’endossai mon veston marin…
Nous partîmes vers les sept heures et demie… Un cartable giberne, en tirant mes épaules en arrière, me faisait une poitrine avantageuse, et mes talons neufs claquaient sur le trottoir, encore encombré par les poubelles matinales…
D’après Marcel Pagnol, Le Temps des secrets, éd. Pastorelly.